On nous dit souvent que l’Afrique souffre de la malédiction de ses ressources, de la pauvreté ou du sous-développement. Mais le vrai drame du continent n’est pas seulement économique. Il est mental, politique et moral. Plus de soixante ans après les indépendances, beaucoup d’Africains semblent prisonniers d’un système qu’ils n’ont pas choisi mais qu’ils continuent, consciemment ou non, à entretenir. Servitude volontaire ? Non. Servitude conditionnée, héritée, intériorisée.
Le poids du passé : quand l’histoire refuse de passer
L’Afrique n’est pas née libre. Elle est née colonisée. Des frontières tracées à la règle, des peuples morcelés, des richesses pillées, et des structures économiques pensées pour exporter les matières premières vers les métropoles. À l’aube des indépendances, les nouveaux États ont hérité d’un édifice bancal : pas d’industrie, peu d’éducation, aucune souveraineté économique. Et quand les drapeaux tricolores ont été remplacés par les bannières nationales, les liens n’ont pas été coupés — seulement maquillés. Le néo-colonialisme a pris le relais, plus subtil, plus sournois. Des accords économiques qui saignent nos ressources, des monnaies contrôlées depuis l’extérieur, des “coopérations” qui prolongent la dépendance : voilà les nouvelles chaînes de la servitude africaine.
Les élites locales, nouveaux maîtres du jeu
Mais il serait trop facile d’accuser seulement les puissances étrangères. Nos propres dirigeants ont, pour beaucoup, troqué les chaînes de l’oppression pour celles du pouvoir personnel. Ils ont reproduit les réflexes de domination du colon : centralisation du pouvoir, culte du chef, confiscation des richesses, clientélisme et corruption érigés en systèmes. Le peuple, quant à lui, reste spectateur d’une pièce dont il ne connaît ni le scénario ni la fin. Il applaudit les mêmes acteurs qui l’exploitent, espérant des miettes de privilèges. Dans ce théâtre politique, les élections deviennent des rituels sans changement, la démocratie une façade, et la liberté un mot de discours.
La pauvreté, outil de soumission
La pauvreté n’est pas seulement une tragédie sociale ; c’est un instrument politique. Un peuple affamé ne réclame pas la liberté — il réclame du pain. Tant que la survie sera la priorité, la dignité restera un luxe. Le manque d’éducation entretient cette dépendance. Quand on n’apprend pas à penser, on apprend à obéir. Les régimes autoritaires le savent : un peuple éduqué est dangereux, un peuple ignorant est gouvernable. C’est pourquoi tant d’États africains investissent plus dans la répression que dans l’instruction.
Le confort de la servitude
La servitude africaine n’est pas seulement imposée — elle est parfois acceptée. La peur du changement, la résignation, la croyance que “Dieu pourvoira” ont remplacé la révolte par la prière. Nous avons appris à supporter l’injustice comme une fatalité, à admirer la richesse sans questionner son origine, à acclamer les puissants tout en se plaignant d’eux. C’est là le piège le plus redoutable : quand la servitude devient un confort, la liberté devient une menace.
Rompre les chaînes : un devoir de conscience
Il est temps d’en finir avec les illusions. L’Afrique ne se développera pas par miracle ni par charité. Elle se redressera quand chaque citoyen comprendra que la liberté n’est pas un don mais une conquête. Il ne s’agit pas de haïr l’Occident, mais de cesser de lui obéir. Pas de rejeter le passé, mais d’en tirer les leçons. L’Afrique doit retrouver sa dignité dans la responsabilité, son autonomie dans la pensée critique, et son avenir dans l’éducation de ses enfants.
Car tant que les consciences resteront prisonnières, aucune indépendance politique ne sera réelle. Et tant que les peuples préféreront la servitude confortable à la liberté exigeante, les chaînes du continent resteront solides — invisibles, mais bien serrées.
